The Wanderer of the Moors est un blog dédié aux sœurs Brontë. Il est maintenant achevé. Les sœurs Brontë sont nées au début du XIXe siècle dans le Yorkshire, région alors industrielle au Nord-Est de l'Angleterre. Elles ont passé leur brève vie dans un certain isolement, pour la plus grande part à Haworth, bourg au pied de la lande qu'elles chérissaient. Elles se sont adonnées à l'écriture dès l'enfance en compagnie de leur frère Branwell (1817-1848) qui devait mourir alcoolique et drogué. Si Charlotte (1816-1855) est connue de tout un chacun pour Jane Eyre (1847), elle a écrit trois autres romans : Le Professeur (vers 1846, publié en 1857), Shirley (1849) et Villette (1853). Tous ont pour sujets communs l'amour et la réalisation de soi dans une société inégalitaire et patriarcale. Pour sa part, Emily (1818-1848) a développé un romantisme personnel et sombre dans ses poèmes et Les Hauts de Hurlevent (1847). Enfin, Anne Brontë (1820-1849) a traité d'abord du sort des gouvernantes d'après ses propres expériences dans Agnès Grey (1847), roman empreint particulièrement de piété. Inspirée probablement par son frère, elle s'est ensuite attaquée aux ravages de l'alcoolisme et de la débauche dans La Locataire de Wildfell Hall (1848).

Marques de bonté – Les animaux dans Shirley

ROBERT MOORE

« — Je crains bien que ce ne soit là une preuve que votre cœur est pris.

— Nullement. Mais s'il l'était, savez-vous quels oracles je consulterais ?

— Dites.

— Ni un homme ni une femme, vieux ou jeunes; mais le petit mendiant irlandais qui vient pieds nus à ma porte ; la souris qui sort de la fente de la boiserie ; l'oiseau qui, par la neige et la gelée, frappe de son bec à ma fenêtre pour avoir quelques miettes de pain ; le chien qui lèche ma main et s'assied à côté de mon genou.

— Avez-vous jamais vu quelqu'un qui fût bienfaisant envers des êtres semblables ?

— Et vous, avez-vous jamais vu ces êtres suivre instinctivement quelqu'un, l'aimer, rechercher sa protection ?

— Nous avons une chatte noire et un vieux chien au presbytère. Je connais quelqu'un sur les genoux de qui la chatte noire aime à grimper, contre l'épaule et la joue de qui elle aime à faire son rouet. Le vieux chien sort toujours de son chenil, agite sa queue et gémit affectueusement lorsque ce quelqu'un vient à passer.

— Et que fait ce quelqu'un ?

— Il caresse doucement la chatte, et la laisse autant qu'il le peut où elle s'est placée ; lorsqu'il est obligé de la déranger en se levant, il la pose doucement à terre, et ne la jette jamais loin de lui. Il siffle toujours le chien et lui donne une caresse.

— Vraiment? ce n'est pas Robert ?

— C'est lui-même. »

CAROLINE HELSTONE

« Quand l'horloge sonnait, quand un bruit quelconque se faisait entendre, quand une petite souris, depuis longtemps la paisible et familière habitante de sa chambre, et pour laquelle elle n'eût jamais permis à Fanny de tendre une trappe, venait trotter sur sa table-toilette, où étaient déposés sa chaîne, son unique anneau et deux ou trois breloques, pour grignoter un morceau de biscuit placé là à son intention, elle levait alors les yeux et se trouvait rappelée pour un moment à la réalité. »

SHIRLEY KEELDAR

« Elle se tenait debout tranquillement près de la fenêtre, regardant le grand cèdre de la pelouse, dans les branches inférieures duquel elle apercevait un oiseau. Elle se mit à gazouiller à cet oiseau, puis son gazouillement devint plus clair, elle se mit à siffler ; le sifflement prit ensuite la forme d'un air très doux et très habilement exécuté. »

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« Nous le rêvons Semblable à nous; nous croyons nos deux êtres en parfaite harmonie; sa voix semble nous donner la plus douce et la plus sûre promesse que son cœur ne s'endurcira jamais contre nous ; nous lisons dans ses yeux ce fidèle sentiment : l'affection. Je ne pense pas que nous devions nous fier nullement à ce qu'ils nomment la passion, Caroline. Je crois que ce n'est qu'un feu de paille, jetant un peu de flamme et s'évanouissant aussitôt.... Nous le voyons bienveillant envers les animaux, les petits enfants, les pauvres gens. Avec nous il est affable, bon, discret. Il ne flatte pas les femmes, mais il est patient avec elles ; il n'est point gêné en leur présence.et trouve du plaisir à leur société. Il les aime non pour de vaines et égoïstes raisons, mais comme nous l'aimons lui-même, parce que nous l'aimons. Nous remarquons qu'il est juste, qu'il dit toujours la vérité, qu'il est consciencieux. Nous éprouvons la joie et le calme lorsqu'il entre où nous sommes, la tristesse et le trouble lorsqu'il s'en va. Nous savons que cet homme a été un bon fils, qu'il est un frère dévoué : qui osera me dire que cet homme ne sera pas un bon époux ? »

*
 
« Il est ou il était d'usage dans le nord de l'Angleterre que les paysans qui habitaient des cottages sur le domaine d'un squire de campagne reçussent leur provision de lait et de beurre du manoir, sur les pâturages duquel un troupeau de vaches à lait était ordinairement nourri pour l'alimentation du voisinage. Miss Keeldar possédait un semblable troupeau, entièrement composé de ces belles vaches au fanon pendant, élevées au milieu des tendres herbages et des eaux limpides de la jolie Airedale ; et elle était fière de leur bonne apparence et de leur parfaite condition. »


À L'INVERSE, LE FLAIR DE TARTARE, LE CHIEN DE SHIRLEY

« — Tartare vous a fait une terrible frayeur, monsieur Donne; j'espère qu'il ne vous en arrivera aucun mal.

— J'en serai malade, assurément. Il m'a causé une révolution que je n'oublierai de longtemps. Quand je l'ai vu prêt à s'élancer, j'ai cru que j'allais m'évanouir.

— Vous vous êtes peut-être évanoui dans la chambre à coucher. Vous y êtes resté bien longtemps.

— Non; j'avais résolu de défendre vigoureusement la porte. J'étais déterminé à ne laisser entrer personne. Je voulais ainsi élever une barrière entre moi et l'ennemi.

— Mais si votre ami Malone avait été déchiré ?

— Malone doit prendre soin de lui-même. Votre homme m'a persuadé de sortir en m'assurant que le chien était enchaîné dans le chenil; si je n'avais pas été convaincu de cela, je serais demeuré dans la chambre toute la journée. Mais que vois-je ? Je déclare que cet homme a menti. Le chien est là. »

— En effet, Tartare passa en ce moment devant la porte vitrée ouvrant sur le jardin, aussi menaçant, aussi rébarbatif que jamais. Il semblait encore de mauvaise humeur, il grognait toujours, et sifflait de ce sifflement à demi étranglé qu'il avait hérité de ses ancêtres les bouledogues. »

LOUIS MOORE

« — Bien, très bien, dit-elle. Parce qu'il est l'ami de M. Hall et le frère de Robert Moore, nous consentirons à tolérer son existence, n'est-ce pas, Cary ? Vous le croyez intelligent, n'est-ce pas? Non tout à fait un idiot ; eh ! il a quelque chose de remarquable dans sa nature ; c'est-à-dire que ce n'est pas tout à fait un rustre. Bien ! vos représentations ont de l'influence sur moi ; et, pour vous le prouver, s'il vient de ce côté, je veux lui adresser la parole. »

Il s'approcha du pavillon ; ne s'apercevant pas qu'il fût occupé, il s'assit sur le seuil. Tartare, devenu son compagnon habituel, l'avait suivi et s'était couché en travers devant ses pieds.

— Mon vieux compagnon ! dit Louis en caressant son oreille basanée ou plutôt les restes mutilés de cet organe, déchiré et déchiqueté dans cent batailles, le soleil d'automne brille aussi bien sur nous que sur les plus beaux et les plus riches. Le jardin n'est pas à nous ; mais nous n'en jouissons pas moins de sa verdure et de son parfum, n'est-ce pas ?

Il demeura assis en silence, caressant Tartare, qui bavait par excès d'affection. Un faible bruissement commença parmi les arbres d'alentour ; quelque chose voltigeait de haut en bas, aussi léger que des feuilles. C'étaient de petits oiseaux, qui vinrent se poser sur la pelouse à une distance respectueuse, et se mirent à sautiller comme s'ils attendaient quelque chose.

— Ces petits lutins bruns se souviennent que je les nourris l'autre jour, se dit encore Louis. Ils veulent du biscuit. Aujourd'hui j'ai oublié d'en conserver un morceau. Charmants petits êtres, je n'ai pas une miette pour vous. 

Il mit la main dans une de ses poches et la retira vide.

— L'imprévoyance est facile à réparer » murmura miss Keeldar qui écoutait.

Elle prit un morceau de gâteau dans son sac, qui n'était jamais dépourvu de quelque chose à jeter aux poules, aux jeunes canards ou aux moineaux; elle l'émietta, et, se penchant sur l'épaule de Louis, mit les miettes dans sa main.

— Voilà, dit-elle; il y a une providence pour les imprévoyants.

— Cette après-midi de septembre est charmante, dit Louis Moore, qui, sans être le moins du monde décontenancé, jeta tranquillement les miettes sur l'herbe.

— Même pour vous ?

— Aussi agréable pour moi que pour aucun monarque.

— Vous vous faites une sorte d'âpre et solitaire triomphe, en tirant votre plaisir des éléments, des choses inanimées et des êtres les plus infimes de la création.

— Solitaire, mais non âpre. Avec les animaux, je sens que je suis le fils d'Adam, l'héritier de celui à la domination duquel fut soumis tout ce qui se mouvait sur la terre. Votre chien m'aime et me suit ; lorsque je vais dans cette cour, vos pigeons viennent voltiger devant mes pieds ; la jument qui est dans votre étable me connaît aussi bien que vous, et m'obéit mieux qu'à vous.

— Et mes roses vous donnent leur doux parfum, mes arbres leur ombrage.

— Et, continua Louis, aucun caprice ne peut me priver de ces plaisirs : ils sont à moi. »

Il s'éloigna : Tartare le suivit, comme lié à lui par le devoir et l'affection, et Shirley demeura sur le seuil du pavillon. »

WILLIAM FARREN

« La nourriture ramena les forces. Elle put enfin se tenir levée. Elle désirait ardemment respirer l'air pur, visiter ses fleurs et voir si le fruit mûrissait. Son oncle, toujours libéral, avait acheté une chaise de jardin pour elle. Il descendit Caroline dans ses propres bras, la plaça lui-même dans la chaise, et William Farren, qui avait été appelé, fut chargé de la promener le long des allées, pour lui montrer ce qu'il avait fait pour ses plantes et prendre ses instructions pour le travail à venir.

William et elle avaient beaucoup de choses à se dire : il y avait une douzaine de sujets qui, sans importance pour le reste du monde, les intéressaient l'un et l'autre. Ils prenaient tous deux le même intérêt pour les animaux, les oiseaux, les insectes et les plantes ; ils professaient des doctrines pareilles sur l'humanité et la création inférieure, et étaient portés l'un et l'autre aux minutieuses observations sur l'histoire naturelle. Les habitudes et les mœurs de quelques abeilles de terre qui avaient creusé leur demeure sous un vieux cerisier étaient un sujet plein d'intérêt; la retraite de certains verdiers et la sécurité d'œufs ressemblant à des perles et de petits oiseaux à peine éclos en étaient un autre. »

 26 février 2014